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♫ Le blog des Amis d'Alain MARINARO ♫
31 janvier 2016

Courrier de Mr Jean-Marie Philippart sur le concert de Collioure du 17 janvier 2016

Monsieur Philippart m’envoie une analyse critique du concert du 17 janvier à Collioure. C’est un chef d’œuvre d’intelligence, de culture et d’humour dont j’aimerais qu’il figure sur le blog malgré sa longueur. 

Amicalement,  Jean-Yves.

                                                          Raz de marée à Collioure .

Non, je ne prétends pas que les rues de Collioure étaient sous eau dimanche 17 . Par contre, la place du Marché, elle, débordait de véhicules. Non, ils n'étaient pas empilés, mais ce fut de justesse . Les derniers arrivés, dont je fus, ont dû se garer au chausse-pied . Dans la salle du centre culturel, les sièges en place ne suffisent pas . On installe tous ceux de réserve . Ils ne sont pas bêtes, les gens : quand ils sont convaincus de rencontrer des artistes de valeur qui promettent un concert de haut niveau, ils ne boudent pas leur plaisir et ils affluent . C'est bien normal .

Les coupables de tout ce remue-ménage ne se cachent pas : il n'y a pas de quoi s'étonner, ceux qui ont encore frappé fort sont "les Amis d'Alain Marinaro", agitateurs culturels notoires, majeurs et prolifiques de notre Languedoc-Roussillon .

Fidèles à leur inflexible engagement, ils ont encore donné l'occasion de briller à de jeunes artistes qui peuvent se dire :

"Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années ."

Ceux qui, ce soir, allient jeunesse, talent et un beau début de carrière sont la soprano Elodie Hache, la pianiste Françoise Ferrand et le baryton polonais Michal Partyka . Françoise Ferrand, nous ne la découvrons pas, nous la retrouvons : elle fut, l'été dernier, à elle seule l'orchestre qui a soutenu la seconde représentation du Don Giovanni menée par nos amis chinois, la talentueuse bande à Heng Shi . Je déteste et récuse le terme d'accompagement . L'union intime des sonorités du piano avec les voix est un art difficile et, de plus, ingrat : moins on se fait remarquer et ... meilleur on est . Puissent nos félicitations chaleureuses et résolues rendre justice à l'excellente Françoise Ferrand .

Le charme du programme proposé ne viendrait-il pas de l'équilibre entre des pages familières que nous avons entendues des centaines de fois, que nous connaissos à la note, mais qui ne nous lasseront jamais, et d'autres, plus rares, voire inconnues ? Allons-y, j'ai plaisir à m'y replonger . Le baryton ouvre la fête avec un air d'"Eugène Onéguine" de Tchaikovski, ouvrage qui n'est pas si fréquent sur les scènes d'Europe occidentale  et pas trop présent dans la mémoire auditive de nos mélomanes . La voix est grande et belle, elle nous fait ressentir la raideur mentale d'un personnage inapte au bonheur . A Tchaikoski succède ... un gros fumeur qui, s'il avait moins fumé, ne serait sans doute pas mort de cancer à Bruxelles en 1924 et aurait pu terminer lui-même son Turandot . Ce propos quelque peu inattendu, mais historiquement exact, annonce évidemment Puccini, dont Elodie Hache nous interprète l'un des plus célèbres "tubes", l'air d'entrée de Mimi dans la Bohème, si touchant par la justesse de ton, le naturel psychologique, la délicatesse des sentiments et des attitudes . C'est ce que l'artiste nous restitue dans une interprétation sensible, vraie, nuancée, en un mot parfaitement maîtrisée . Emettre le plus de son possible n'est jamais le but d'un artiste de qualité : avoir, comme Elodie, le sens de la nuance multiplie l'effet de la voix . Il ne suffit jamais à un chanteur lyrique d'être musicalement juste ; il faut l'autre justesse, celle de l'expression : c'est à ce niveau que se révèle la valeur de l'artiste .

Vient ensuite un compositeur qui, ni au propre ni au figuré, heureusement et malheureusement n'a pas vieilli, ne vieillira jamais . Soit dit en confidence  (Ne sommes-nous pas entre nous ?) dans toute l'histoire de la musique, c'est lui que je préfère . Comme il est au sommet du génie, les goûts ne se discutent pas . En plus, je partage avec lui un minuscule point commun : comme lui, je me suis marié un quatre août, lui en 1782 et moi 191 ans plus tard . J'ai plus de chance, car il ne resta marié que neuf ans : Constance devint veuve en 1791 . Avec un destin si tragique, on ne peut s'appeler que Mozart . La page suivante est dans Don Giovanni, que nombre de musicologues placent au sommet de notre musique  en compagnie de l'Orfeo de Monteverdi, des deux Passions restantes de Bach et du Fidelio de Beethoven . Le duettino "La ci darem la mano", nous l'avons entendu mille, deux mille fois peut-être et il ne nous lassera jamais . De fait, il nous a enchantés une fois de plus . Voici donc Elodie et Michal réunis pour une drague pas si drôle que ça . Mozart a appelé son oeuvre "dramma giocoso". Je la trouve bien plus dramatique que joyeuse .

Cette page célèbre entre toutes ne présente pas de difficulté sur le plan de la pure technique vocale, comme d'ailleurs la plus grande partie de l'oeuvre vocal mozartien . Les partitions pyrotechniques comme les deux redoutables airs de la Reine de la nuit dans la "Flûte" sont l'exception . Donc, Mozart facile à chanter ? Que nenni ! Car la vraie difficulté est ailleurs : conformer l'interprétation à la situation dramatique et l'y intégrer ; il faut plus qu'une belle voix pour bien chanter Mozart .

Qu'on me pardonne d'exprimer deux regrets .

J'aurais aimé qu'ils donnent la totalité du recitativo secco qui précède le duettino proprement dit ("Alfin siam liberati, Zerlinetta gentil, da quel scioccone"). Un petit rappel peut-être utile : le "récitatif sec" est celui qui est accompagné par le continuo, c'est-à-dire le clavecin et le cello ; il a le rythme du langage parlé et le chanteur y a plus de liberté vis-à-vis de  la mesure . L'autre forme de récitatif est le recitativo obbligato, qui est accompagné par l'orchestre entier et donc strictement assujetti à la mesure .  J'aurais aussi préféré que Michal Partyka entre dans le duettino avec moins d'emphase et une mesure plus carrée . La vraie difficulté de cette page est d'ordre expressif et consiste, pour Don Giovanni, à créer l'ambiance contradictoire d'intimité canaille dans laquelle il englue Zerlina . Elodie exprime avec évidence l'évolution des sentiments successifs par lesquels passe la jeune mariée, qui, craintive, se défend puis cède . Je rassure les âmes sensibles : au théâtre, dès que les spectateurs ont fini d'applaudir le duettino, Elvira, l'épouse infortunée du séducteur, surgit à point nommé et la sauve in extremis . Le même défi interprétatif reviendra plus loin dans l'oeuve avec la petite sérénade ("Deh viene alla finestra"). Il ne suffit pas au baryton-basse de sortir sa plus jolie voix : ll faut en plus l'intégrer à la dramaturgie en faisant comprendre à l'auditeur que cette mélodie enchanteresse est une tromperie de plus . Ca, c'est plus que du chant et ce n'est pas facile . Oui, Mozart est difficile : il était aussi homme de théâtre ...

Dès que les applaudissements cessent, Elodie revient avec "Vissi d'arte" (J'ai vécu d'art), autre page que nous connaissons par coeur : la cantatrice Floria Tosca  remet en place ses esprits et sa détermination : feindre de céder à l'odieux Scarpia et le poignarder pour sauver son amant . Avec Elodie Hache, nous avons tout eu : la puissance et la beauté de la voix, mais aussi toute l'intensité du drame . Plus qu'une chanteuse, cette jeune femme est une tragédienne lyrique .

Michal réapparaît avec un air de "Die tote Stadt", la Ville morte . Eric Wolfgang Korngold s'est inspiré pour le composer de "Bruges la morte" du poète belge Georges Rodenbach . Etre juif, de toute évidence, n'est  pas un délit . Cela devint pourtant un crime puni de mort quand l'Allemagne était nazie et odieuse . Korngold n'en mourut pas, car il réussit à s'enfuir à temps . L'exil aux U.S.A. ne l'empêcha pas d'édifier un oeuvre imposant dans tous les domaines de l'art musical, y compris la musique de film . Sans doute le rayonnement en aurait été tout autre si le maître avait pu rester à Vienne ; à part l'un ou l'autre air de "Die tote Stadt", l'oeuvre entier nous est peu familier . Pourtant, Korngold n'est pas l'homme d'un seul opéra, comme Leoncavallo ou le fasciste Mascagni, qui ont écrit d'autres oeuvres aujourd'hui bien oubliées . La belle voix de Michal Partyka nous en donne une version exemplaire : le grand caractère de l'air lui convient tout à fait . Il reste en scène avec une mélodie de Rachmaninov, dont nous ne nous risquons pas à prononcer le titre . L'artiste, lui, est impeccable : on sent, on entend qu'il est dans son jardin .

Il m'arrive ensuite ce à quoi je m'attendais le moins : qu'une programmation illusionniste sorte, comme un lapin d'un chapeau, un compositeur dont je n'aie jamais entendu parler . Roberto Falvo est né en 1873, soit la même année que Rachmaninov, la même année aussi que l'un de ses probables interprètes, autre grand fumeur, le mythique ténor Enrico Caruso . Toscan, il dut à ses cigares trop aimés de revenir dans sa ville natale, Naples, en 1921, pour y mourir de septicémie, âgé seulement de 48 ans . Falvo fut en son temps le compositeur le plus en vue de canzonette "napuletane"  en dialecte napolitain, représentatives du plus pur Bel Canto : la frime vocale, la théâtralisation des sentiments, le mélodisme savoureux qui flatte les voix et les met en valeur . Celle de Michal, grande et brillante, est faite pour ça aussi, alors que le genre est plutôt réservé aux ténors : longtemps avant notre baryton, les plus grands ténors s'y sont illustrés, comme Caruso, Beniamino Gigli ou Mario Lanza .

Le cirque et la scène de concert ont une règle en commun : il faut toujours finir par le meilleur, le plus remarquable, le plus émouvant . Ce fut le cas dimanche . Le double duo entre Violetta et le père Germont a couronné comme il faut un grand récital . Chanter les barytons verdiens réclame un aigu à toute épreuve, car les tessitures sont tendues, les plus hautes, pour cette voix, après le baryton-martin, dont le meilleur exemple est le Figaro de Rossini . Cette fois non plus, le public ne s'est pas trompé : ce fut un moment de grâce . Nous avons eu tout ce qu'il fallait : la sompteuse musicalité verdienne et la poignante intensité dramatique de la confrontation : de terribles sentiments s'affrontent, évoluent, s'humanisent avec justesse et naturel . Ceux qui connaissent la mentalité italienne toujours actuelle au sein de la "bonne" bourgeoisie la reconnaissent ici : l'essentiel est encore de "figurare", "fare figura", faire (bonne) figure socialement . C'est ce que met en scène la partition de Verdi, c'est ce que nos artistes ont su nous faire ressentir . La beauté, la puissance des voix, le sens dramatique des artistes ont pleinement opéré . C'est ce qu'ont dit les applaudissements sans équivoque et les conversations d'après concert .

Le bis fut surprenant et agréablement dépaysant : on se serait attendu à tout, mais pas à "L'Heure exquise" de la moins triste des veuves ! L'oeuvre célèbre de Franz Lehar témoigne du second souffle de la valse viennoise, quand elle se fit moins carrée, ou plutôt moins triangulaire vu ses trois temps obligés, quand elle s'alanguit et devint plus sentimentale . Cela fut servi dans le style adéquat, charmant l'assistance au point qu'elle se mit à accompagner les artistes en fredonnant . Je ne puis qu'approuver le choix de la langue originelle, qu'ont fait les artistes . A la fin du XIXe et au début du XXe, on chantait en français toutes les oeuvres dont il n'était pas la langue originelle, par exemple au théâtre de la Monnaie à Bruxelles, dont ce fut pourtant un âge d'or : on y venait de Paris par trains entiers . Il faut se réjouir que la langue originelle des oeuvres soit aujourd'hui préférée . Les bénéficiaires sont Mozart et tous les opéras qui comportent des "récitatifs secs", intraduisibles inadaptables en français . 

Résumons-nous ... enfin .

Un concert exceptionnel, d'un intérêt majeur, servi par trois musiciens de grand talent promis à une évidente belle carrière . Les voix sont puissantes et d'une superbe musicalité, aptes aux grandes salles . Qu'on me pardonne une dernière fois si je décerne ma palme de la soirée à Elodie Hache pour ce qu'elle a en plus : sa sensibilité, son sens des nuances, son  sens dramatique, qui, en plus d'une chanteuse, en font une tragédienne lyrique . Cette opinion flottait d'ailleurs dans les rencontres d'après concert .

Je m'en voudrais d'oublier le quatrième artiste de ce dimanche, qui mérite un clin d'oeil amical : Jean-Yves Marinaro se révéla particulièrement inspiré ! J'ai toujours trouvé incompréhensible, injuste que l'humour ne soit pas rémunéré par la Sécu .

 

Jean-Marie Philippart

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